FRONTIÈRES INVISIBLES

Là où passe la frontière invisible, on ne sait pas qu’il y a un autre côté. Nous sommes des coureurs dans l’immobile, pourtant il y a un autre côté, il y a un mouvement très pur tout à côté, nous ne pouvons pas mobiliser l’imagination assez pour le soupçonner. Peut-être est-ce un mouvement en nous-mêmes, un tumulte de puissances intérieures. Cependant, nous ne parvenons à arrêter les choses autour de nous qu’au prix d’une passivité envers nous-mêmes, comme vivants. Pourtant, lorsque nous faisons de l’art , c’est ce mouvement qui peint, récite, cadre, sculpte, résonne … pour psychiser l’univers et l’absorber dans nos images.

Parfois nous croyons apercevoir un tracé scintillant, une agonie de la lumière à la frontière - c’est parce que nous avons conduit notre monde à la contradiction, nous avons introduit l’irreprésentable dans nos équations, nous avons pris le parti de commencer par l’impossible. Nous cherchons la frontière partout, elle passe par chaque mot : est-ce votre sens ou le mien ? Elle passe par chaque image : est-ce mes ombres ou vos reflets ?

Par-delà la frontière, l’imagination s’imagine. Et l’énigme se stupéfait : c’est une énigme créée par l’eau, les minéraux et une impatience de l’immensité, sans raison. De cette énigme nait la créature que nous sommes, affligée du besoin de faire sens et de trouver une finalité. Parce qu’elle entrevoit un océan de possibilités, la dissolution continuelle de tout ce qui semblait acquis, elle flanche et trébuche, elle parvient quand même à se hisser dans sa hauteur, se balance au bout de ses jambes, sans trouver appui dans une unité du monde, ou de l’humain. L’esprit écartelé, elle se concentre sur un château de plis qu’elle imagine dans son crâne, dans ses poumons - dont elle resserre les plis sans cesse. C’est un château de feuilles d’or que l’on ne peut pas toucher du doigt, qu’une haleine peut tuer. Elle se balance sur des jambes, passe à côté de vous, mais vous ne pouvez pas soupçonner combien l’écart est grand, - et son vertige intelligent.

J’attends du matin une perle issue de l’aube, qu’elle reste tout le jour comme une percolation de l’être. Je sais alors que vous, moi, nous pouvons suivre notre joie. Par delà la pesanteur des places et des distractions, qui séparent et qui étourdissent, nous pouvons sauter par-dessus la frontière, entrer dans les interstices de la vie. Qu’à mettre plusieurs folies ensemble nous pouvons faire une raison.


Michaël La Chance

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